Dalida – s/t

 

Désormais, elle n’est plus seule. Au vent mauvais, les affres de la solitude.

 

D’un côté Klaus Legal, de l’autre, DaiKiRi. Un contre deux. Une entité solitaire versus un duo. Chacun s’occupant sans doute d’un globe oculaire, ce qui expliquerait enfin le léger strabisme de l’icône décédée. En tout cas, une opposition que l’on retrouve jusqu’au cœur des rares paroles qui peuplent le premier titre : « Quand partiras-tu ? / Cessant de violer mon terreau / De mon champ / Géant épouvantail ».  Poésie automatique, charivari de mots qui tintinnabulent et s’entrechoquent. Une voix monocorde qui déverse pourtant une logorrhée et qui sait se frayer un chemin jusqu’aux couches les plus tendres et sensibles du cortex. Une litanie acoquinée à une répétition maladive. Car pour une fois, alors que la parole s’enfuit, trace des chemins sinueux et s’insinue, la rythmique laboure le même pré carré et la guitare assène les mêmes riffs. Les mêmes quelques notes venant gonfler les mêmes quelques notes. Il y a beaucoup d’enfermement et de rigidité dans cette musique. Une rigidité que les mots brisent pourtant. Mais comme ils sont plutôt rares… Parfois, un instrument prend les devants. Quelques apparitions fugaces qui ponctuent les mornes chemins granitiques du labyrinthe circulaire que le groupe met patiemment sur pieds. Ça déboule sans crier gare et ça repart comme c’était venu. Parfaitement hypnotiques, les deux pistes sont à la fois simples et compliquées. En répétant à l’envie les mêmes motifs, une sorte de groove froid fait son apparition sur lequel on pourrait presque danser. Mais dans le même temps, quelque chose bloque. La répétition forcenée aboutit à l’aliénation et plutôt que de chercher à communier avec les autres, on se retrouve bien vite à ne vouloir communier qu’avec soi-même. De prime abord sociable, le disque se révèle finalement très introverti.

 

Deux morceaux qui déforment le temps et comptent les secondes en heures. Deux morceaux ténus également, qui fuient la surenchère mais dont l’impact est bien réel. Squelettes décharnés, ils montrent paradoxalement un sacré poids. Empruntant tout à la fois au punk iconoclaste et très Melt Bananien de DaiKiRi et à la gestuelle électronique et cold de Klaus Legal, ils fraient dans les eaux troubles d’un krautrock vidé du moindre oripeau kosmische mais rehaussé d’accents noise cinglants, incisifs et roides lui conférant une aura malade et inquiétante. Une sorte de psychédélisme janséniste pointe le bout de son nez. On dirait un Can qui aurait remplacé la choucroute par du tofu, un Cul De Sac resserré et européen, un Metal Urbain bucolique et lettré, bégayant dramatiquement sa première note. Ça emprunte ici et là mais ça ne ressemble finalement qu’à lui-même et c’est surtout extrêmement prenant. Et malgré la répétition et le caractère éminemment obsessionnel de Dalida, le disque résiste au temps qui passe et à l’acclimatation, ce qui relève tout de même de la gageure. Un premier morceau de vingt minutes, un autre deux fois moins long mais long tout de même, pas de titre, le tout emballé sous le portrait cheveux au vent de – faudra-t-il encore l’écrire ? – qui scrute un insaisissable lointain tout en regardant ailleurs, ce premier essai ne manque pas de séduction. Il faut dire que les protagonistes prêtent depuis longtemps leur inspiration et leurs instruments à une multitude de projets – Death To Pigs, Hallux Valgus, La Race, Judas Donneger, Amour, Myster Möebius, Le Singe Blanc, liste bien évidemment non exhaustive – et l’on ne s’étonnera donc pas du caractère bien trempé qu’exhale la musique de Dalida. Parfaitement menée, cette demi-heure a tôt fait de se rendre indispensable.

 

Revenue d’entre les morts, jetant aux orties son Bambino et puisqu’Il Venait D’Avoir 18 ans en a maintenant quarante-trois, il est clair que la nouvelle Dalida ne vendra plus autant de disques. Faut-il pour autant s’en inquiéter ? À l’écoute de ce qu’elle nous offre désormais (fidèle au credo de Et Mon Cul C’est Du Tofu, l’album est en téléchargement libre), il est évident que l’on ne perd pas au change. Un coup d’essai qui montre tous les atours du coup de maître.

 

Obsessionnel, répétitif et avant tout remarquable.

 

leoluce

 

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