GÄNGSTGÄNG – Primitive Rap And Shamanic Dirty Sabotage From Swiss Jura

Primitive Rap And Shamanic Dirty Sabotage From Swiss Jura. À la limite, je pourrais m’arrêter là, il me semble que tout est dit. Ah si, penser à écrire le nom du duo. GÄNGSTGÄNG donc. En capitales d’imprimerie rehaussées d’un tréma sur les voyelles. Lister aussi les labels : Jelodanti Records, Burning Sound Records et L’Axe Du Mal. Pas du tout rien et pas franchement n’importe quoi. Et puis l’objet en lui-même : fidèle au credo de Jelodanti, le vinyle est magnifique. Quant à ce que renferme le bel emballage, retour aux premiers mots : Primitive Rap And Shamanic Dirty Sabotage From Swiss Jura. Terminé, au revoir.

Enfin, quand même dire peut-être que le disque n’est pas évident : j’ai beaucoup aimé tout de suite mais parce que c’est biscornu. Et pas mal affligé. Et inintelligible sur la minuscule minute trente d’Administrition en ouverture qui plante néanmoins le décor : beat minimaliste et sec, infra-zone souffreteuse et flow déstructuré. Ça ne rigole pas et ça ne rigolera jamais. GÄNGSTGÄNG malaxe à deux une matière tout à la fois onirique et désaxée qui se déploie en lignes brisées enserrant l’encéphale. Le rap promis par le titre est effectivement primitif et shamanique et sale. Il renferme nombre de toiles d’araignée et de projections de boue et, sans jamais en faire trop, enferme nos idées dans son réseau parce que GÄNGSTGÄNG a beaucoup de choses à dire et le fait très bien.
Ce n’est inintelligible qu’en introduction et on saisit tout le reste : les mots qu’il utilise sont tout entiers inscrits dans l’époque dégueulasse qui les voit naître. Ça parle pas mal de désagrégation, de pourrissement, de « feu au fond de nos sombres yeux« , de « rêves [qui] se crispent sous nos paupières closes« , de violence et de sabotage, de G8 et d’actionnaires de Total, ça fait état de, ça s’analyse pas sinon ce qu’il se passe à l’intérieur de la machinerie humaine. Hypersensible et pessimiste, donnant autant d’importance à la matière sonore qu’aux textes, le disque dessine des vignettes grises virant au noir d’encre qui s’installent derrière les yeux et filtrent la lumière.
Il montre aussi une propension à aller essentiellement vers le pas évident et le grouillant. Les morceaux sont parcourus de stridences, de hoquets, de petites boites à musique disloquées et baroques, de poussières de musique concrète parfois amalgamées à de grosses guitares et c’est souvent saisissant.



L’ambiance générale est au ciel de traîne, à la pluie un jour de crue, à l’eau lourde et aux cendres de mazout. En recouvrant ce qu’elle rencontre à la sortie des enceintes d’une mince pellicule poussiéreuse, elle a des airs de morgue et d’abandon. La poésie y pousse comme une fleur au milieu du bitume : elle n’a rien à faire là mais on ne voit qu’elle. Encore une fois, c’est souvent saisissant et quand on lance le disque, impossible de faire quoi que ce soit d’autre que l’écouter au risque d’en perdre des miettes.
Chez GÄNGSTGÄNG, les miettes et les bribes, c’est important.
Elles s’amoncèlent en strates et finissent par construire des artefacts solides et réalistes qui donnent néanmoins l’impression d’être systématiquement au bord de l’effondrement.
Primitive Rap And Shamanic Dirty Sabotage From Swiss Jura ne tient qu’à un fil mais c’est un fil d’acier qui ne rompt jamais. Il amalgame colère et idées noires, pensées déviantes et gentils tabous, on peut être dérangé par le flow parfois trop démonstratif, les chœurs étranges, par le côté monolithique ou mal dégrossi mais il y a toujours quelque chose qui ramène au disque : le flow démonstratif, les chœurs étranges, le côté monolithique ou mal dégrossi.
Il faut dire aussi qu’il s’agit déjà du troisième album de GÄNGSTGÄNG – association du batteur Pascal Lopinat et de l’artiste polyvalent Augustin Rebetez, suisses tous les deux – et que le duo a eu le temps de polir sa matière, d’autant plus que ces deux-là forment également CHRUCH, autre projet qui réussit l’exploit d’être non seulement totalement différent de GÄNGSTGÄNG mais qui en plus lui ressemble complètement. On pourrait rapprocher la musique du duo d’un YN, d’un Dälek dadaïste et gothique ou d’un Stupeflip mais avec du talent tout en sachant très bien qu’on est de toute façon à côté : l’ensemble est bien trop personnel pour ressembler à autre chose qu’à lui même.

Pour l’heure, il y a Livraison De Rapaces, Les Poubelles, le très beau Juste Ça (avec Zoë) ou encore la course en avant d’Uppercut Mystique et Crasse Crasse (avec Dubuk) et tout un tas d’autres choses étranges contenues dans ce Primitive Rap And Shamanic Dirty Sabotage From Swiss Jura tout à la fois monochrome et métamorphe qui s’insinue comme une métastase autour des capillaires. On sait qu’on n’est pas près d’en faire le tour mais on attend aussi impatiemment la suite.

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