USA/MEXICO – Del Rio

USA/MEXICO ter. Del Rio, du nom d’une ville, comme à l’habitude, frontalière (côté États-Unis pour celui-ci, Texas plus précisément). Trois morceaux dont deux qui dépassent allègrement les dix minutes.
Enfin, j’écris « morceaux » mais je ne suis pas bien sûr de ce dont il s’agit en fait. Même si vous vous êtes déjà frotté.e.s à Laredo et/ou Matamoros, il y a tout de même fort à parier que ces trois-là vous prennent un poil par surprise. Et ça n’a rien à voir avec leur durée (après tout, Anxious Whitey dépassait déjà le quart d’heure sur le précédent) ou la bouillie sonore qu’ils exsudent à grandes eaux (c’est précisément leur pâte), non, rien de tout ça. La surprise vient plutôt de la méchante vibration doom déjà entraperçue ici ou là mais jamais mise en avant comme sur Soft Taco et aussi du ralentissement extrême à faire passer un escargot carbonisé pour un coureur de cent mètres.
Et plus ça ralentit, plus ça devient méchant. Et bruyant. Inutile de tester Del Rio sur votre ampli à lampes si vous avez la chance d’en avoir un ou sur une paire d’enceintes « audiophiles », ça ne sonnera jamais mieux qu’un pauvre MP3 ultra-compressé. Le son de Del Rio est proprement dégueulasse comme il l’a toujours été jusqu’ici. Et il demeure toujours aussi sidérant.
La musique psychopathe d’USA/MEXICO a encore franchi un pas (et franchement, je ne me doutais pas qu’il y avait encore un pas à franchir après la boue déchirante de Matamoros). Pour un peu, on dirait du drone (glauque et purulent, le drone) et le trio semble avoir largué les amarres, s’éloignant de ce qui le rattachait encore au monde connu. C’est bien ce qui surprend le plus, la manière qu’ont Craig Clouse, Nate Cross et King Coffey de systématiquement se réinventer tout en malaxant exactement la même matière.

Inutile d’essayer de passer en revue les apports de chacun, ils deviennent inaudibles dans le maelström. La batterie ne tchak-poume pas comme une batterie, on dirait qu’elle expulse des ondes, la basse ne fait pas bong-bong, elle se lance dans des monologues transcendantaux particulièrement désaxés et la guitare, je ne suis pas tout à fait sûr qu’il y en ait une, même lorsqu’elle joue la carte du solo plus-que-lunaire-je-dirais-galactique (sur Soft Taco, encore lui). Et encore, après que tout cela a été expulsé de ses doigts, il est évident que le trio travaille encore la matière en lui faisant subir moult déformations.
Oui, parce que je n’ai pas encore parlé des, ahem, « voix ». Pourtant, au plus fort de l’éponyme, vers la quatrième minute, le grondement qui vient se rajouter au grondement semble bien en être une. Il y a bien aussi celles des quelques samples qui viennent agrémenter le chaos mais elles sont intelligibles et n’ont rien à voir avec les borborygmes caverneux (et semble-t-il à porter au crédit de Colby Brinkman de Taverner, préposé au micro sur ce disque) qui émaillent parfois les morceaux et disparaissent comme ils étaient venus, dans le flou le plus total.
Tout ça mis ensemble forme Del Rio : Chorizo (oui oui) en ouverture ne plante pas le décor parce que de décor, il n’y a point. On dira juste qu’il est beaucoup plus court que les deux autres, qu’il donne l’impression d’aller vite alors qu’en fait pas du tout. Il se traîne et est distordue de partout, suspend son vol un moment avant de recommencer à fracasser l’espace, répétitivement, impitoyablement, sans s’arrêter. Ah tiens, si, ça s’arrête. Vient ensuite le doom forcément déviant (pour résumer) de Soft Taco puis le définitif Del Rio dont on comprend pourquoi il est éponyme.

Guitare et basse se chevillent l’une à l’autre pour créer un bourbier vibrionnant, la batterie expulse une frappe lourde comme un tir de mortier puis s’interrompt, laissant la distorsion prendre le dessus. Puis ça recommence avec des cris peut-être humains en plus. Puis la batterie s’interrompt à nouveau et ça repart et ainsi de suite jusqu’à la 988ème et ultime seconde.
Simplicité et répétition.
Et freeture saisissante partout.
Parce qu’à le lire comme ça, on pourrait trouver la musique d’USA/MEXICO vaine, inutile et dénuée de fond mais elle est définitivement l’antithèse de tout ça. Elle est jusqu’au-boutiste, c’est vrai mais aussi salutaire, vitale, politique, subversive et dangereuse. Au sein de toute son entropie, elle dissimule une forme de poésie désespérée qui, si elle ne rassure pas sur l’état actuel de notre monde malade, fait énormément de bien et touche infiniment.

Merci.

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