J’Entre Par Tes Yeux – S/t

Date de sortie : 21 mai 2021 | Label : Specific Recordings

Quel drôle de truc ! Tout à la fois drastiquement minimaliste et complètement enveloppant. C’est vraiment froid, très énigmatique, franchement industriel et cérébral mais ça s’emberlificote aux neurones pour ne plus les lâcher. L’électronique fait jeu égal avec la voix, l’une répond à l’autre ou les deux s’amoncellent et ça construit des enclaves hirsutes que l’on pourrait croire en charpie si tout n’y était pas si millimétré. Ne pas se fier pourtant au catadioptre géométrique de la pochette car à l’intérieur, rien n’est droit. Ça crisse et ça gronde, ça infrabasse et ça psalmodie, c’est volontiers renfrogné et le duo n’arrondit jamais les angles : clairement, il n’y a rien d’aimable et pourtant, encore plus clairement, on aime.
Les morceaux agissent comme des genres de mantras organico-synthétiques qui, du cerveau, se diffusent aux pieds et en les écoutant, on a souvent envie de danser.
Mais dans un bunker.
Et tout seul.
Sans bouger.
Dans le noir.
C’est complètement obsédant et bruitiste, ça touche autant à la techno qu’à l’ambient, à la noise qu’au synth-punk et tutti quanti sans être jamais complètement dedans. C’est bien sûr compliqué à circonscrire, complètement pelé mais aussi très racé. J’Entre Par Tes Yeux n’appartient qu’à lui, il fait penser à tout un tas de trucs mais à rien de particulier et on construit une relation très étrange avec le disque et sa musique. Je me suis régulièrement retrouvé à l’écouter en boucle sans savoir pourquoi je le faisais. Me demandant ce qui m’attirait autant – encore une fois, c’est tout de même assez minimaliste – avant de court-circuiter l’encéphale parce qu’au final, quelle importance ? Le disque accapare et c’est tout.

Il faut dire aussi que J’Entre Par Tes Yeux réunit Alice Dourlen et Julien Louvet (qu’on ne présente plus par ici) et que ce que l’on entend leur ressemble entièrement. Qui d’autre pour sortir un truc pareil qui s’assume complètement, à la fois jusqu’au-boutiste et surprenant ? Souvent, on croit entendre un genre d’YRSEL technoïde, la même noirceur abyssale affublée d’un beat accidenté, à d’autres moments, on retrouve les déstructurations de Chicaloyoh portées par les courants sombres d’Austrasian Goat. Bref, on n’est pas vraiment étonné d’être étonné.
Ça commence dans un murmure, le frottement des micros contacts dansent d’une enceinte à l’autre, une onde très grave laboure le parterre et les bruits synthétiques fourmillent entre les mots poétiques, « j’entre par tes yeux / tu sors par ma bouche » avant de coloniser notre encéphale et rester là. Presque un manifeste : J’Entre Par Tes Yeux, premier morceau de J’Entre Par Tes Yeux par J’Entre Par Tes Yeux. Pourtant, Anyone Realize rompt avec cette entame ténue et disloquée : nappes stroboscopiques, voix de Pythie hallucinée, freeture synthétique, techno froide et déviante. Tête éclatée. Le Corps De Ton Corps s’occupe du reste via sa transe aliénée : les nappes pulsent et gonflent, les râles aussi et pour finir, on fait pareil. Fin de la face A.
La B est exactement du même acabit et paraît presque symétrique. La transe De Las Lilas d’abord, inspirée des mots d’Alejandra Pizarnik puis la techno-indus de combat de Tendresse Soviétique inspirée par Klaus Legal font tout autant chalouper et transpirer glacé. C’est froid mais dansant, étrange et hypnotique. Il faut bien le très dark-ambient Chante Blessure Ferme-Toi Bouche pour laisser les derniers cristaux de glace s’agréger et finir congelé.

C’était J’Entre Par Tes Yeux et c’est magnifique.

(leoluce)

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