Luggage – Happiness

Date de sortie : 16 juillet 2021 | Label : Husky Pants Records

Le truc s’appelle Happiness et dès les premières notes, on saisit le sens de l’humour très particulier de Luggage. On comprend aussi qu’il est calé sous la peau pour un petit bout de temps. Très court – le trio le présente comme un LP mais tournant à 45rpm est doté de six titres seulement, ça pourrait aussi être un EP – très triste et très beau. Il s’éloigne, comme à chaque fois, du précédent tout en conservant les grands traits principaux : répétition, angles droits, sècheresse, voix mi-chantée mi-parlée, attributs noise et revêches dans une ossature essentiellement post même si tout cela ne veut plus rien dire et surtout, une volée de flèches neurasthéniques en plein cœur. On est très loin de Shift mais aussi tout à côté. Moins inquiet peut-être même si ça l’est encore énormément, toujours coincé quelque part entre Slint, Shellac et Codeine mais pour tout dire, de plus en plus Luggage. Avec sa sensibilité à lui tout seul, toujours plus prégnante, mélangeant une large palette d’émotions cramées qui fourmillent sous l’épiderme, dans la boîte crânienne et au milieu du ventre alors que le rendu est drastiquement pelé.
Grande économie d’effets pour impact maximum donc : qu’il s’agisse de la scansion fatiguée de Michael Vallera, de sa guitare hérissée, des ondes tracassées de la basse (Michael John Grant) ou de la frappe sèche de la batterie (Luca Cimarusti), tout s’accorde pour incurver la course des idées vers une zone aux contours mal définis où le patraque montre une belle énergie et la vitalité est salement exténuée. Et toujours ce goût prononcé pour la mélodie charbonneuse qui affleure par tous les pores de ce petit bout de plastique calciné.

C’est qu’il faut considérer notre époque flinguée comme l’un des moteurs principaux d’Happiness. L’écriture interrompue par le jeu ininterrompu des confinements-déconfinements-reconfinements est expurgée de la moindre fioriture et ne garde que les idées-forces, le reste a disparu ou s’est évaporé. Voilà pourquoi une telle concision. Évidemment très frustrante mais pas tant que ça puisque le disque apparait comme un concentré de tout ce que j’aime chez eux.
L’autre moteur, c’est aussi l’apport de chacun et de ses expériences. Ces trois-là ont un parcours riche touchant autant au dark ambient qu’au black metal, le tout dans une déclinaison toute personnelle. Luggage ne peut faire autrement que de sonner comme lui-même. Simplement, sur Happiness il a creusé le son (capté par Jeremy Lemos toujours à l’Electrical Audio, masterisé par Bob Weston) empilant les strates au sein de structures minimalistes et l’ensemble est tout à la fois ténu et charnu : les morceaux sont simples mais aussi très compliqués. Et surtout, rien à jeter (mais c’est une constante chez eux). Du superbe éponyme inaugural à l’ultime Wealth arrivant beaucoup trop vite, c’est un enchantement : larsens discrets mais bien présents (Happiness), angles contondants partout, mélancolie virant à la tristesse (tous les morceaux), évidences pas évidentes (les ondes lointaines de Fear, Rot), répétition forcenée (Fear), fulgurances (Lie Design, Idiot Bliss) et voilà comment une poignée de minutes s’en vont rejoindre les couches les plus profondes du cortex pour y laisser une trace indélébile.

Happiness, c’est du Luggage désossé, toujours plus proche de l’épure alors que le son s’est paradoxalement épaissi. Un disque qui rompt avec les précédents tout en restant exactement sur le même chemin anguleux, lent et répétitif.
C’est court, c’est grand, c’est beau.

(leoluce)


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