Malaïse – Hearts Of Darkness

Hearts Of Darkness suit un éponyme de haute volée et ce n’est déjà plus tout à fait la même chose. On retrouve bien sûr les éléments prototypiques de Malaïse – basse sépulcrale, guitare effilée comme une lame, batterie métronomique et chant habité – mais redistribués différemment. Le trio garde cependant son empreinte, sombre et racée, mais la délimite encore plus nettement. S’il y a changement, c’est dans la continuité et pourtant, en se plaçant exactement dans le sillon initié par les précédents, Malaïse est déjà ailleurs. Tout comme l’éponyme gagnait en ornementations par rapport au son minimaliste et crade de la cassette inaugurale, Hearts Of Darkness se montre aujourd’hui bien plus varié. En restant fondamentalement elle-même, la musique s’épaissit, rajoute des strates à l’écorché et devient toujours plus dense. D’ailleurs le titre ne trompe pas, le disque vient bien de là et s’épanouit dans les zones d’ombre où il peut, à l’aise, faire ce qu’il veut. Balancer une grosse basse dub (Heart Of Darkness),  explorer les contours retors de l’abstraction (Terribly Wrong) ou encore tout miser sur l’urgence (Dance All Night) et ce ne sont là que quelques exemples des multiples possibilités offertes par ce triangle post-punk que l’on pourrait croire étriqué. Or, il n’y a pas qu’une seule couleur et bien plus que trois angles à bien y regarder et les limites supposées n’en sont bien évidemment pas. Les morceaux se suivent ainsi sans se répéter, toujours attirés par le sombre mais le déclinant, pour chacun, en une multitude de nuances. Ils peuvent être exténués, roboratifs, excédés, malsains, en colère, rappeler Siouxsie, ou P.I.L. ou même personne en particulier, il y a plein de possibilités et toujours, quoi qu’il arrive, le même ciel orageux, gris et bas, chargé d’une tension électrique, auquel on ne peut se soustraire.

C’est toujours la même histoire, ici, on joue ce que l’on a dans le ventre et, une fois expulsé par la bouche ou les doigts, on lui donne forme avec les moyens du bord. On sent bien que c’est une nécessité. Se référer au post-punk ou à l’indus n’est pas une fin en soi, Malaïse sonne ainsi car c’est la forme que prennent leurs idées une fois posées au centre. On ne se complaît pas dans la noirceur, on ne la rend pas attirante, on n’esthétise rien, elle est là et c’est tout. D’autant plus que celle-ci est un poil moins jusqu’au-boutiste que sur l’éponyme, certains morceaux renfermant leur lot de mélodies exaltées (la fin de Home, portée par un refrain adhésif tout comme celui de Dance All Night par exemple ou encore Gold Teeth plus loin). En revanche, partout ailleurs, on reste dans le tendu et l’inquiet, la guitare inventive au vibrato classieux, hésitant en permanence entre carillon morbide et riff résigné, la basse noire entraînant le plus souvent l’ensemble au fond du trou et une fois arrivé là, la batterie (à la belle finesse) enfonce ce qui reste encore debout.  Et puis, c’est sans compter sur la voix qui incarne parfaitement les morceaux, allant du feulement inquiétant à la déclamation habitée, bloquée sur une sorte de psalmodie contrite le reste du temps. Tout ça mis ensemble concoure à l’édification d’une architecture au scalpel, angulaire et spéciale, qui montre beaucoup d’élégance et de tenue. Pas un titre en-dessous des autres et beaucoup d’idées (le sabbat d’Hollow, les accents latins de Heart Of Darkness pour n’en retenir que quelques-unes) qui amènent effectivement vers ce que promet le titre.

Avec Hearts Of Darkness, Malaïse continue sa trajectoire singulière et se rapproche de plus en plus de ce qu’il est fondamentalement. Une trajectoire qui relève du mouvement immobile, c’est toujours pareil mais ça n’en reste pas moins complètement différent.

Une belle gageure qui en fait un incontournable obsédant.

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