MoE – Examination Of The Eye Of A Horse

Oui, c’est vrai, en ce moment on ne brille pas vraiment par notre assiduité scripturale mais ça ne veut pas dire qu’on n’écoute rien. C’est même un peu paradoxal : plus le rythme des sorties au minimum intéressantes s’accroît, moins on écrit. La faute au temps qui file et à la nuit qui succède au jour, toujours bien trop vite. On est donc évidemment très en retard pour parler de celui-là mais d’un autre côté, on est vraiment sûr de vouloir le faire : il hante la platine et torture les enceintes depuis maintenant plusieurs mois. Ses tentacules agrippent le cortex, électrisent l’épiderme et malmènent les tympans mais on s’en fout, parce qu’il nous fait du bien. La violence est ici pleine de finesse, non seulement c’est un bloc monolithique mais c’est aussi une boule aux multiples facettes. On la reconnaît immédiatement mais on y découvre sempiternellement de nouveaux recoins. Et plus elle semble ciselée, architecturée, plus elle déborde du cadre. C’est bien ça qui étonne : comment un truc aussi entropique, excessif et explosif peut-il se montrer aussi carré ? Les angles sont multiples, souvent mouvants et particulièrement aigus mais le cadre général reste bien visible. Il en résulte des impressions étranges : aller droit devant tout en restant exactement là où l’on est, être complètement largué tout en sachant en permanence ce qu’il s’y passe. Un tour de force qui inscrit ce nouvel album de MoE dans la catégorie des grands. Examination Of The Eye Of A Horse, un poulpe en bandoulière, des sinogrammes sous les titres, de la noise plombée aux répétitions aliénées, du punk-hardcore furtif aux relents métalliques, c’est court, c’est long, c’est extrêmement lent mais assez souvent rapide, on démêle tout mais on n’y comprend rien.

L’impitoyable Realm Of Refuge en ouverture, rampant et vicieux, reptilien et quadrupède. Quand il piétine et laboure son parterre visqueux, des giclées de bruits parasites s’élèvent dans l’espace et le vrillent méchamment. Kohei Gomi (aka Pain Jerk), derrière ses machines, apporte beaucoup aux morceaux en superposant ses strates d’interférences à celles – beaucoup plus binaires (mais loin d’être sans finesse) –  des Norvégiens. Pour le reste, c’est du MoE pur jus, tel qu’on le connait depuis au moins Oslo Janus (2013) – les précédents sont aussi intéressants mais sans doute moins prototypiques de cette véloce lourdeur qui caractérise le trio aujourd’hui – donnant l’impression de faire du surplace quand in fine, il ne cesse de muter. Certes par petites touches abstraites successives mais qui détachent chaque album du précédent. Sur celui-là, c’est d’abord le son fuselé que l’on entend (parfaitement capté par le guitariste du trio Håvard Skaset et magnifié avec Jørgen Træen). Les banderilles explosent dans une grande clarté et desquament les couches tendres de l’épiderme avec la précision d’un scalpel. Ça a beau être un gros bordel bien granuleux, on saisit pleinement les apports de chacun : les ondes métamorphes et pachydermiques de la basse, les riffs anguleux gorgés de souffre de la guitare et le martèlement schizophrène de la batterie (accompagnée des percussions de Ane Marthe Sørlien Holen sur quelques titres), les slogans mortifères («we will all go down disappear all fine»), les méandres contrits de la voix partagée entre râle et murmure, l’envie d’envoyer la platine rejoindre les fondations et celle de replier l’espace dans des cases bien trop étroites de manière à ce qu’il explose à grand fracas. L’impact déjà important des morceaux s’en trouve décuplé alors qu’on n’était pas bien sûr que cela soit encore possible.

L’autre grande force de MoE, c’est qu’en faisant toujours la même chose, il le fait toujours différemment. Les mêmes armes, les mêmes intentions mais un rendu éclectique. Aux côtés de Realm Of Refuge, on placera Saccades And Fixations – le bien nommé – par exemple mais pas Paris, trois minutes et quelques de punk-hardcore recroquevillées sur leur fureur, ni le fabuleux Wild Horses où le trio joue la carte de la répétition d’une manière jusqu’au-boutiste, ajoutant au même motif des strates de bruits supplémentaires. De plus en plus lourd, de plus en plus haut, le morceau retombe miraculeusement sur ses pattes sans que l’on sache vraiment comment. Plus loin, Doll’s House amalgame ces deux derniers et Examination Of The Eye Of A Horse de se terminer sur un Letters Of Pliny littéralement fou furieux qui, tout en reprenant les ingrédients disséminés précédemment, les agence différemment et y injecte des éléments nouveaux (l’entame purement électronique et malaisée), entraînant la dislocation totale du morceau, de l’album puis de tout ce qui l’entoure, notre cortex y compris. On le voit, rien n’est facile dans ce disque et pourtant, la moindre seconde s’accompagne d’une jubilation extrême qui pousse à renouveler l’écoute une fois celle-ci terminée. Dans ces conditions, on pouvait craindre l’épuisement et l’affadissement. Mais non, rien de tout ça ici. Incontestablement, l’architecture de guingois et retorse de Examination Of The Eye Of A Horse n’est pas près de s’effondrer.

Grand disque.

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