Art Of Burning Water – Between Life And Nowhere / Menimals – Menimals / ICSIS – Pierre Vide Eau

Bien sûr, le temps manque mais les disques continuent à sortir et parmi eux, beaucoup de perles dont on voudrait parler. Impossible de se lancer dans une chronique au long court, pourtant, chacun des trois ci-dessous en mérite une. On préfère couper la poire en deux en optant pour quelques lignes mais si jamais vous y prêtez attention et par extension l’oreille, on vous promet des disques que vous ne vous lasserez pas d’explorer. Leurs points communs ? Ils sont tous les trois en rotation lourde sur la platine, ils ne sont pas des plus guillerets – que leur noirceur soit simplement suggérée ou plus clairement mise en avant – et ils montrent une belle capacité à envoyer valdinguer bien loin la moindre tentative d’étiquetage. Racés, singuliers, ils ne se ressemblent en rien mais constituent pourtant une bande-son idéale en ces temps pour le moins incertains. Bref, il nous fallait en parler.

Art Of Burning Water – Between Life And Nowhere

AOBW

Date de sortie : 01 mai 2016 | Labels : Bigoût Records / Sleeping Giant Glossolalia / SuperFi

Toujours expéditif, toujours dégueulasse, toujours désespéré. Art Of Burning Water ne bouge pas d’un iota. Le même noir, le même gris (qui, à l’origine, devait être rose mais il faudra se procurer l’édition américaine pour en voir la couleur). La même basse à l’agonie, la même guitare toxique, la même batterie impitoyablement dévastée. Les mêmes couinements, les mêmes râles et les mêmes cris. La même violence qui inonde la moindre seconde du moindre morceau, ces derniers creusant le même amalgame punk/noise/metal/hardcore. À le dire comme ça, on pourrait croire qu’il s’agit toujours du même disque et ce n’est pas tout à fait ça. Certes, le trio continue à labourer inexorablement le même sillon mais en faisant cela, il creuse de plus en plus profond. Et entre deux LP, publie une quantité industrielle de splits qui lui permettent d’explorer toutes les facettes de sa musique, d’en nuancer tous les éléments et de créer, quelque part, une expertise dans la violence et le bruit. On passe de moins en moins du coq à l’âne et la diversité grandit désormais à l’intérieur des morceaux. L’atmosphère étouffée et monolithique, elle en revanche, perdure. Gravés sur les deux faces d’un vinyle tournant à la vitesse de 45 rpm, les morceaux se succèdent, administrent leurs crochets, leurs uppercuts et leurs coups de boule et de pied puis s’en vont sans se retourner. Ce qui agrippe ici, c’est la vraie colère qui inonde la moindre parcelle d’une musique qui ne se laissera jamais domestiquer et l’impression tenace que tout ce que l’on entend est joué avec la rage du désespoir. Between Life And Nowhere est ainsi profondément cathartique, autant pour Art Of Burning Water que pour nous et comme à chaque fois, on se demande s’ils continueront à brûler longtemps leur musique par les deux bouts. Pour l’instant, pas le moindre signe d’essoufflement, ni d’affadissement. Le mur vers lequel ils se précipitent semble encore loin. Pourvu qu’il le soit. Il faut qu’il le soit.

MenimalsMenimals

menimals

Date de sortie : 09 avril 2016 | Labels : Riot Season RecordsPhonosphera Records

À la première écoute, on n’y comprend rien. Les suivantes n’éclairent pas grand chose. Pourtant, au fur et à mesure, cet album fait son trou dans la boîte crânienne et on s’y attache fortement. Le groupe s’appelle Menimals, est tout à la fois américain et italien et ses membres se cachent derrière des pseudonymes –  The Rat (batterie), The Chimera (basse arachnéenne), The Gryphon (guitare), Doctor Forge (chant) – qui en disent long sur la teneur hautement perchée de ces cinq morceaux. On ne sait jamais trop où ranger le disque : on dirait de l’ambient mais associée à de très curieux accents psychédéliques. En outre, une dimension ésotérique s’ajoute aux deux autres et recouvre l’ossature déjà bien abstraite d’une énigmatique couche de noirceur. C’est tout à la fois expérimental et étrangement accueillant. C’est aussi très calme et élégant si l’on s’en tient aux arrangements et aux textures majoritairement denses et veloutés. Toutefois, ce côté très structuré est bien vite battu en brèche par les interventions de Doctor Forge. Il ne chante pas, il murmure. Et ses murmures contiennent nombre de râles et de cris. Et puis, il faut bien admettre que les morceaux sont sacrément bien écrits : de la mélopée arabisante d’In This Unforgiving Heat en ouverture en passant par les tumultueux Dodecahedron, Tetrahedron ou Transition From A Cube To The Octahedron, Menimals manie parfaitement l’art pervers du contre-pied en offrant des enclaves dociles et conventionnelles aux mélodies identifiables systématiquement fracassées par des lames de fond ambient et abstraites. La musique cajole l’auditeur pour mieux l’envoyer dans les cordes l’instant d’après, lui donnant l’impression de maîtriser le disque quand, in fine, il est clair qu’il ne maîtrise strictement rien. Un premier long format brillant, soufflant en permanence le chaud et le froid, partagé entre lumière et obscurité, aux éléments totalement disparates mais parfaitement agrafés les uns aux autres. Poisseux, ésotérique et abstrait peut-être mais jamais abscons. En 2016, le psychédélisme vit encore et l’on tient en Menimals l’un de ses plus singuliers représentants.

ICSISPierre Vide Eau

icsis

Date de sortie : 03 juin 2016 | Dur & Doux / Atypeek Music

ICSIS est attiré par le mélange. Leurs morceaux sont tout à la fois construits et déconstruits et s’expriment aussi bien en chinois qu’en anglais, les accalmies n’y sont pas rares mais les explosions de bruit non plus. On y décèle de la noise désarticulée, des accents free rock et aussi, me semble-t-il, un peu de blues (en particulier sur le Dark Matter d’ouverture) ainsi qu’un souffle épique hérité du prog sans les démonstrations techniques qui souvent l’alourdissent. Pourtant, technique, indubitablement, ICSIS l’est mais jamais au détriment de la musique. On sent très vite qu’elle seule compte. Ils sont trois et comptent la très expressive Jessica Martin Maresco derrière le micro, secondée par les voix de François Mignot (qui s’occupe également de la guitare) et Guilhem Meier (qui, outre la batterie, gère également l’électronique venant rehausser la configuration faussement basique). On est d’abord stupéfait par l’extrême échantillonnage des morceaux, sautant d’un motif à l’autre avec une belle dextérité (écoutez donc Hŭ (tigre) par exemple). Un côté déstructuré qui agace de prime abord mais finit par subjuguer tant l’ensemble ne se dépare jamais d’une forme d’élégance qui fait penser à un early-Heliogabale croisant ses dissonances avec la mystique d’OOIOO par exemple. C’est en permanence inattendu et c’est aussi souvent inquiet, ça montre une belle densité qui rend les structures difficiles à cerner. Il y a un vrai côté habité à l’oeuvre ici, comme si la musique dépassait la somme des apports de ses membres, comme si elle était vectrice d’une énergie enfouie qui ne sort qu’une fois tout ce petit monde réuni en cercle. Le disque pourrait être vain ou nous laisser sur le bord de la route, n’être que démonstratif mais il n’en est rien. Il communique au contraire parfaitement le concept qu’il porte («Les animaux du kung fu» dixit le label) et on en vient à l’écouter souvent pour tenter d’en percer le fragile équilibre qui le fait sonner si bien. Anguleux comme une pierre aux arêtes saillantes, enveloppant comme le vide qui suit l’absence, mouvant comme l’eau que rien n’arrête, aussi à l’aise dans l’attaque véloce que la comptine apaisée, Pierre Vide Eau ne se dévoilera qu’après quelques écoutes mais vous le rendra au centuple.

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