Mona Servo – Les Réalités Alternatives

Nouvel opus de l’excellente série Synesthetic Alchemy initiée en 2015 chez le non moins excellent 213 Records – on vous conseille de jeter également une oreille voire les deux sous la pochette rouge de Klaus Legal ou celle, mauve, d’Ihan mais tous valent le détour – Les Réalités Alternatives portent bien leur nom. On connaissait déjà Mona Servo, bien installée derrière la batterie et les incantations plombées de La Chasse ou les manipulations de bandes et les claviers hantés de Semleh mais au terme de l’écoute, on a surtout l’impression de ne jamais l’avoir connue.
Pourtant, on retrouve ici une grande part d’étrangeté déjà à l’œuvre dans les deux projets susmentionnés mais comme elle est seule, on a l’impression de rencontrer pour la première fois sa psyché. Celle-ci est douce, élégante mais ce n’est qu’une façade, il se joue des trucs bizarres dans l’arrière-plan. Quatre titres de trois à quinze minutes, du drone liquide, des agrégats bruitistes, du mouvement immobile lançant des nappes majestueuses, imposantes, minimalistes ou cristallines mais jamais invertébrées. Les morceaux enveloppent l’auditeur, agissent comme des tours hermétiques où plus rien ne compte que ce que l’on écoute et du coup, oui, c’est vrai, le disque offre une alternative sérieuse à la réalité en imposant clairement la sienne.
Tout est symétrique : deux titres courts cernant deux pièces bien plus longues. Ça commence lentement, ça joue avec le silence via quelques sons épars qui acquièrent progressivement une belle densité et la gardent un long moment durant, des nappes sur des nappes sur des nappes qui avancent comme le ressac sur la mousse des enceintes, cycliques, pulsatiles, inquiètes, le tout parcouru de bruits étranges avant que le disque ne rejoigne, dans un souffle, le silence. Quatre morceaux très lents, très beaux, jamais abscons alors que leur parterre est sec et abstrait.

Derek’s Death se construit petit à petit et s’achève lorsque tout rentre en résonance et s’organise en mélodie. Pour Du Sang Dans Les Rêves Érotiques, c’est l’inverse : la mélodie se déploie d’emblée puis se trouve petit à petit malaxée, vrillée puis transformée. La face B est plus abstraite mais pas moins prenante. Sur un parterre vibrionnant, les sons se succèdent puis s’accumulent et on se retrouve très vite hors du temps, à guetter les multiples mouvements imperceptibles qui créent Les Réalités Alternatives quand Islands joue sur l’extrême lenteur, les voix lointaines et l’écho pour construire un bourdon tour à tour imposant et ténu qui s’évapore sans crier gare.
On n’ira pas plus loin dans la description car l’essentiel du disque donne l’impression de se jouer ailleurs, en particulier dans les détails qui poussent à se concentrer sur l’instant présent comme si chaque seconde effaçait la précédente alors qu’on a aucun mal à se rappeler ce que le disque procure une fois qu’il est achevé.
C’est très symétrique, on l’a déjà dit, chaque morceau semble répondre au précédent, chaque face fait de même et pourtant, c’est toujours inattendu. La multitude de variations contrecarre les directions prises et dans la lenteur, il se passe énormément de choses.
Les Réalités Alternatives sont bâties sur une alchimie particulière qui altère la vue d’ensemble en focalisant sur le très gros plan et c’est vrai que tout n’est que précision dans ce disque : on imagine aisément les heures passées à sculpter une telle masse pour lui faire dire ce que Mona Servo a à exprimer. Les morceaux durent précisément ce qu’ils doivent durer de manière à atteindre l’acmé sans l’épuiser. Qu’ils s’éteignent après trois minutes ou s’allongent au-delà de quinze, on n’y décèle aucune ellipse ni aucun remplissage et du coup, l’album joue avec le temps : long mais court, court mais long.

Il s’y passe en permanence quelque chose et on n’est est pas près de l’avoir cerné.

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