Subheim – Foray

Cinq ans. Cinq ans qu’on attendait le retour de Subheim. Apres No Land Called Home, sorti en 2010 sur Ad Noiseam, le compositeur grec installé à Berlin a laissé murir Foray pendant plusieurs années, avant de s’associer avec Denovali pour la production de ce troisième album. Si l’intégralité des sorties du label allemand semble un peu moins passionnante qu’à une époque, il n’empêche que c’est avec une bonne dose d’enthousiasme qu’on accueille la signature de Kostas Katsikas à la fois pour sa cohérence musicale avec les codes denovaliens et pour le coup de projecteur qu’on espère qu’elle apportera à cet artiste.

Parti comme ça, on pourrait nous croire déjà tout acquis à sa cause. Oui et non. Avec ce type d’attente initiale (cinq ans, c’est long), toute déception se serait révélée criante. Et déception il n’y a pas eu. Foray représente ce que Subheim a composé de plus beau. Je fais partie de ces gens pour qui, en raison de sa noirceur, l’écoute de No Land Called Home n’était ni aisée ni courante. Ce n’est pas faute d’écouter au quotidien des choses qui déprimeraient la majorité des Français (selon un sondage Ifop). Mais, bien qu’admirable, ce disque était trop funèbre, trop opaque pour laisser passer la moindre lueur. Une chape de désespoir dont l’affrontement nécessitait plus que de la sérénité. Aujourd’hui, soit Subheim va mieux, soit il est parvenu dans sa musique à atteindre un équilibre fragile mais hardi entre des émotions complexes et un grain qui n’a jamais été si texturé, entre des vents contraires et l’infinie profondeur du champ des possibles.

Comme souvent, les étiquettes sont malaisées. Downtempo et syncopée, on aurait pu rapprocher la musique de Subheim du trip-hop si ça ne semblait pas aussi anachronique. Ou on pourrait se contenter de parler d’electronica, de celle qui se frotte à l’acoustique et incorpore des cordes graves comme des ombres, du piano pluvieux et des field-recordings couleur de rouille. Les tendances post-industrielles de Approach, son premier album, se sont depuis longtemps taries pour laisser la place aux orchestrations sauvagement feutrées. Au niveau des voix, leur usage est parcimonieux. Il n’y a pas comme dans No Land Called Home de morceaux chantés. De l’humain, Subheim n’a gardé que les plaintes et les bribes, qu’il noie au cœur des rythmiques. S’il semble avoir arrêté d’utiliser des bidons de métal en guise de percussion, le Grec n’a pas cessé de mettre la corporalité du rythme au cœur de son travail.

Analyser les différents temps d’écoute en apprend beaucoup sur l’album en lui-même. Dans un premier temps, certaines aspérités ressortent et éblouissent un peu plus que les autres. Si on n’y prend pas garde, on aurait tôt fait de croire que le disque entier tourne autour de quelques morceaux, Foray en tête. Perfection des souffles, des syncopes et des sonorités de bois. On a tantôt l’impression d’observer un ouvrage dont la minutie de la réalisation laisserait coi, tantôt le sentiment d’explorer des espaces nocturnes et immenses, le cœur gros et la tête renversée vers le ciel. Tableau d’une ville crépusculaire qui convoque Burial à la mélancolie et Undermathic aux tonalités d’encre. Mais c’est en laissant se reposer l’oreille et en revenant au disque un plus tard, que l’équilibre entre les titres se révèle. Candeur de berceuse mortuaire (Alone), trainées floues des lampadaires qui s’effilochent derrière la vitre (Red Ridge), ballet ininterrompu de la foule, des quais, d’un port (Forsaken).
Foray est un disque-monde dont on n’a pas fini d’explorer les sanctuaires.

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