Winged Wheel – No Island

Date de sortie : 29 avril 2022 | Label : 12XU

Dès l’entame, c’est un enchantement. Le morceau s’appelle Monsella et vise une sorte de psycho-shoegaze bien kosmische et mystérieux qui mêle guitares réverbérées et divagantes, batterie concentrique sèche comme une trique, basse cinétique, arrière-plan élégant et voix éthérée : ça ne dure que cinq minutes mais on voudrait que ça en dure au moins dix. Juste après, Drinking With Flies joue plutôt la carte dream pop avec, au centre, cette même batterie increvable autour de laquelle s’articule tout le reste. Ça reste mystérieux et prenant. La batterie disparaît ensuite sur le très ambient Central Ceiling puis réapparait de façon déformée sur le suivant, Blue Pigeon, en même temps que le groupe retrouve son chemin pop. L’hypnose, elle, ne faiblit pas. Et le disque avance ainsi jusqu’à sa conclusion, touchant un peu à tout et mettant sans cesse en avant le flou et l’incertain, le très mystérieux et l’à peine effleuré.
Pour Winged Wheel, l’important se situe dans l’exploration à tous crins, dans les chemins de traverse et l’étrangeté. Il s’agit pourtant d’un premier album mais tout se passe comme si ces quatre-là en avaient déjà une dizaine à leur actif. De fait, s’il est vrai que chacun peut s’enorgueillir d’un parcours déjà riche, c’est néanmoins la première fois qu’ils partagent un même disque : Cory Plump (Spray Paint, Rider/Horse, Expensive Shit) à la guitare et à la basse, Whitney Johnson (Matchess, Damania) au chant, Fred Thomas (Idle Ray, Tyvek, City Center, Hydropark et j’en passe) à la batterie et Matthew Rolin (Powers/Rolin Duo mais en solo aussi) à l’autre guitare. En outre, ils ne se sont jamais rencontrés au cours de l’enregistrement : le premier a demandé au troisième de lui envoyer quelques boucles de batterie enregistrées à la maison sur lesquelles il pourrait jouer de la guitare. Celles-ci se sont révélées si inspirantes que le premier s’est rapidement retrouvé à rajouter, en plus de la guitare, des pistes de basse. En soi, ces instrumentaux étaient déjà assez étranges mais ce n’est que lorsque la seconde a apporté sa voix et le quatrième, ses riffs que Winged Wheel est né.

C’est dans le va-et-vient permanent entre les quatre membres – chacun avec sa propre conception de ce qu’ensemble ils créaient – qu’il faut trouver le moteur principal de No Island et pour une fois, on remerciera cette foutue pandémie.
Plump et Rolin exsudent de longs lavis de notes rebondissantes chevillés au tempo de Thomas, basse et batterie groovent ce qu’il faut pour empêcher la dilution totale. La voix tamisée de Johnson est nichée au creux du mix comme un fantôme dans le fog épais, ajoutant un peu plus de beauté et de mystère à des morceaux qui, sans ça, n’en manquaient déjà pas. C’est parfaitement hypnotique et profondément captivant. Et ça n’apparaît jamais comme la somme des parcours de l’une et des autres. L’apport de chacun est indéniable – la distorsion chère à Spray Paint ou Tyvek, la sécheresse rêveuse de City Center couplée aux élans kraut d’Hydropark, le mysticisme de Matchess et le psychippiedélisme de Powers/Rolin Duo – mais trouve dans ce collectif à distance une autre forme d’expression.
Alors oui, c’est souffreteux et ça ne s’emballe jamais, ça focalise pas mal sur l’instant présent et pourtant quelque chose se passe. Le flou se déploie sur une ossature bien ancrée même dans les moments les plus ambient et si de prime abord on ne retient pas grand chose de chaque occurrence, No Island laisse une empreinte indélébile, un peu comme si l’encéphale finissait d’achever le disque bien longtemps après que sa dernière note s’est tue.
Il y a pas mal de franches réussites (il n’y a même que ça) qui semblent se répondre par deux : Central Ceiling et Lasso Motel dans leurs velléités ambient, Drinking With Flies et Blue Pigeon payant leur tribut à une pop-rêveuse-certes-mais-pas-du-tout-endormie de qualité supérieure, Monsella et Grey On Grey explorant le labyrinthe psyché et motorik, les ultimes et merveilleux Stone Oaks et Passive But Jag mélangeant un peu tout ça sans qu’à aucun moment le cerveau ne déconnecte. Il part loin, se lance dans des images mentales chelou mais reste accroché au disque en permanence.
Dès l’entame, c’est un enchantement… et ça le reste tout du long.

leoluce

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