Krause – The Art Of Fatigue

Date de sortie : 20 mai 2022 | Label : Venerate Industries

The Art Of Fatigue, le dernier Krause en date, est paru au mois de mai et il n’a pas fait, me semble-t-il, grand bruit. Pourtant, c’est encore une fois son meilleur album, ce qui était déjà le cas des deux précédents.
Le groupe poursuit sa mutation lente et alors que je retrouve ici absolument tout ce qui m’a fortement attaché à lui jusqu’ici – la grande urgence, le crade, la colère – The Art Of Fatigue n’est pas une stricte photocopie de The Ecstasy Of Infinite Sterility qui lui-même n’en était pas vraiment une de 2am Thoughts. On sent bien que tout y est encore plus crispé, encore plus tendu, encore plus sale et encore plus en rogne qu’auparavant.
Quasiment tous les titres aux alentours des deux minutes trente, excepté le dernier qui frise les six. En règle générale, Krause ne s’appesantit pas, lâche immédiatement les chiens et ne se retourne jamais. Guitare, basse et batterie se mêlent les unes aux autres dans un maelstrom dégueulasse et le ton est donné dès le saisissant Ignorant Acts Of Stunded Vision d’ouverture. Alex Vagenas fait de plus en plus penser à un genre de Chris Spencer glauque et le groupe s’inscrit profondément dans le sillage d’Unsane sans jamais apparaître comme un vulgaire décalque. D’abord (et plus que jamais) Krause est fortement ancré dans son territoire. Rien à voir avec la tension caractéristique de la Grosse Pomme en général et du lower east side en particulier. Son noise-rock à lui sent plutôt la crise et l’exaspération que l’on y entend renseigne beaucoup sur le malaise grec (« We are all rather misanthropic and pessimistic as people, so our lyrics tend to either be stories of urban isolation or reflect our disappointment with our own selves and humanity under capitalism » annoncent-ils d’ailleurs dans le dossier de presse). Ensuite, la production parfaite de Giorgos Christoforidis agrémente le vortex dense et épais de forts relents sludge-hardcore qui en exacerbe la sauvagerie sans l’alourdir. Alors que tout pouvait s’y montrer sans relief, on peut au contraire facilement détailler les empilements à l’œuvre derrière The Art Of Fatigue. C’est crade, c’est vrai mais il ne s’agit jamais d’une bouillie informe, sursaturée et vaine. Si Krause sonne comme cela, c’est bien parce qu’il ne peut sonner autrement.

On compte pas mal de titres qui courent le 100 mètres et participent pour beaucoup à une forme d’urgence nouvelle, comme s’il fallait crier un dernier grand coup et le plus vite possible avant de se taire défintivement : en gros, jusqu’à Bootstrap Reactionaries And Alienated Intelligentsia, Krause brûle tout sur son passage. Le kit de batterie (formidablement maltraité par Nikos Prapas) en prend plein la gueule mais impossible de ne pas s’accrocher à cette foutue caisse claire qui imprime un tempo ultra-rapide et représente le seul truc auquel se raccrocher dans tout ce bordel distordu. À partir de Ceremonial Aspects Of Everyday Bloodbaths, ça lève très légèrement le pied mais ça n’en reste pas moins la guerre et c’est toujours impressionnant. Je veux dire par là que Krause est dans la pleine maîtrise. Rien n’est jamais approximatif, le moindre riff est jeté en pâture comme s’il devait être le dernier, la basse n’est même plus moribonde, elle est déjà morte et sonne comme un glas mortifère et la batterie tabasse mais scintille aussi : rien à faire, on ressent jusqu’au plus profond des atomes toute la désillusion et la rage qui animent The Art Of Fatigue.
Une vraie profession de foi et comme il est difficile de distinguer ce que beugle la voix, on se rattache aux titres : The Stuff of Tired Eyes, Steeped In Disaster, Ceremonial Aspects Of Everyday Bloodbaths, Stressworld ou The Things I Love Affront Me With The Effort It Takes To Love Them renseignent autant sur l’état mental à l’œuvre là-derrière que la musique elle-même. Voilà qui encapsule le grand malaise actuel et voilà qui explique pourquoi The Art Of Fatigue – du haut de sa minuscule demi-heure – est un grand disque.

leoluce


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